La conférence de citoyens, une autre approche du débat public
Dans le cadre du colloque international "Le citoyen et la décision publique. Enjeux de légitimité et d'efficacité" des 16 et 17 juin 2014, la CNDP a sollicité des étudiants d’origines disciplinaires différentes pour souligner ce qui à leur yeux constituent les grands enjeux des plénières et des tables rondes. Voici leurs contributions.
D’inspiration danoise, le modèle de participation des profanes à l’image des conférences de citoyens essaime dans les démocraties occidentales selon des approches relativement différentes. Des Jurys citoyens de Berlin qui décident de l’affectation d’un budget participatif à l’échelle locale, à l’obsession du contentieux aux Etats-Unis en passant par la concertation selon la procédure de l’audience publique en Grande Bretagne, ou encore les publi-forums suisses qui s’étalent sur une année, ces déclinaisons de la participation des citoyens à l’élaboration des décisions publiques ont en commun de partager le même idéal d’une démocratie sans fossé entre citoyens et élus.
Dans le contexte français, les conférences de citoyens ont été mises en œuvre relativement peu par rapport à d’autres pays : les plus connues sont celles sur les OGM (1999), sur les ondes (2009), sur la fin de vie (2013), et récemment dans le cadre du débat public Cigéo organisé par la CNDP (2014).
La procédure est en général la suivante : un comité de pilotage constitué selon le principe de la diversité de ses membres, remplit deux fonctions principales : l’organisation du recrutement du panel d’une quinzaine de citoyens (par un institut de sondage, par tirage au sort ou par voie de presse sur la base du volontariat) au profil suffisamment diversifié pour que les échanges soient riches ; et la préparation de la formation dispensée au panel. Celle-ci est dispensée durant 2 à 3 week-ends au panel. Une fois cette phase de formation / information achevée, les panélistes demandent à auditionner un panel d’experts en fonction de leurs propres questionnements. Cette audition publique a généralement lieu 15 jours à un mois de la dernière séance de formation.
La délibération des citoyens intervient au terme de ce processus marqué (en principe) par un souci de transparence (formation filmée) et de neutralité (questions rédigées par le panel des profanes rigoureusement sélectionnés en amont).
Quels sont actuellement les objectifs portés par les conférences de citoyens ? Elles ont avant tout pour visée la clarification des enjeux d’une problématique donnée tout en permettant aux publics de s’exprimer et de faire entendre leurs voix dans le cadre d’une controverse qui peuvent porter sur les nouvelles technologies, un projet d’aménagement, une question éthique ou encore un sujet de politique territoriale. L'arène de discussion des conférences de citoyens tend donc à mettre à plat ces relations pour aller vers une logique d’interactions entre des représentations des sociétés, des sciences, de l’environnement. Est-il possible de considérer ces conférences comme des espaces de partage ou doit-on ramener le dispositif à des processus d’apprentissage et de transmission d’informations des experts aux publics ?
Contrairement à l’appellation « conférence de consensus », qui fut par la suite abandonnée au profit de « conférence de citoyens », il ne s’agit pas toujours de dégager un consensus suite à la délibération. Les conférences de citoyens n’entendent pas soutenir la croyance que la simple addition des intérêts privés permettrait de dégager ce qui pourrait constituer l’intérêt général. Au contraire, il est attendu des délibérations qu’elles fassent émerger divergences et incertitudes, qui permettront de mieux de saisir les différents enjeux portés par une controverse. Il apparait fort pertinent de considérer les conférences de citoyens dans la perspective d’un « couplage » entre démocratie représentative et démocratie participative. En effet, l’avis formulé par les citoyens à l’issue d’une conférence pourrait éclairer les élus en amont d’une décision politique et permettre par exemple à ces derniers d’avoir une meilleure compréhension, une vision plus globale de la portée scientifique, éthique et sociétale d’une nouvelle technologie. En ce sens, la contribution de citoyens formés et informés délibérant entre eux nous rapprochent non seulement des idéaux démocratiques de la participation et de la formation d’une opinion éclairée dans les démocraties occidentales.
Un problème plus important encore se pose et est directement en lien avec la question de la représentativité : faut-il chercher à assimiler les certitudes et incertitudes d’un panel d’une vingtaine de citoyens aux préoccupations de l’ensemble des citoyens ? Dans le cadre d’un projet d’envergure nationale, ou d’une question de politique générale, comment considérer que la parole de quinze citoyens puisse représenter la parole de l’ensemble des citoyens d’une nation ?
Se poser une telle question revient à présupposer que la représentativité est un des principes fondateurs de la conférence de citoyens, alors que tel n’est pas le cas. Le dispositif n’a pas pour vocation d’établir un panel incarnant les préoccupations de tous les publics (principe du sondage), mais plutôt d’organiser une véritable délibération entre citoyens. C’est ce principe de discussion et d’argumentation qui prévaut dans un dispositif de type mini-public comme la conférence de citoyens. Il n’est d’ailleurs pas attendu des citoyens qu’ils s’expriment au nom de tous mais avant tout qu’ils s’expriment en leur nom.
La question de la « formation scientifique » des citoyens est au cœur du dispositif de la conférence de citoyens. Faut-il des citoyens informés pour produire un avis ? Le principe de la conférence de citoyens repose sur le postulat de la nécessité d’une information préalable. Il a ainsi été conçu pour permettre la participation citoyenne à la définition collective d’enjeux sociétaux au sein de controverses scientifiques relativement complexes. Une des forces du dispositif est de permettre aux citoyens de rédiger aux mêmes leurs questions, de choisir eux-mêmes les différents experts auxquels ils se confronteront et de rédiger eux-mêmes leurs recommandations. En ce sens, cela permet la mise en lumière de certains enjeux qui n’émergent pas nécessairement des milieux scientifiques. Certaines précautions sont généralement mises en place pour assurer un traitement égal des points de vue dissonants et minimiser les influences sur le panel de citoyens. Par exemple l’anonymat des citoyens est préservé le temps de la formation, et la délibération et la rédaction de l’avis final se fait à huis clos. De plus, la formation est filmée et disponible à tous dans une optique de transparence.
Des conférences de citoyens peuvent avoir lieu avant ou pendant un débat public et ainsi le compléter, bien que cela reste relativement rare d’associer les deux dispositifs. Elles peuvent nourrir celui-ci. Dans le cadre du Débat national sur la transition énergétique, l’implication des citoyens a été vue par certains membres du conseil national de la transition énergétique comme la contribution qui leur a permis de sortir de postures classiques d’acteurs, cristallisées et productrices de peu de valeur ajoutées dans le débat.
Les conférences peuvent créer un contexte d’expression des publics sur les controverses qui impactent nos sociétés, et permettre donner un cap éthique et connecté à l'intérêt général au monde des sciences face aux controverses. Il s’articulerait ainsi avantageusement avec les débats publics, dont l’objet est généralement plus restreint. Les conditions de cette articulation restent encore à inventer en France, et la CNDP semble vouloir se saisir de cette question.
Etienne Lemerre, Jean Cury, Thierno Barry, William Paterson
Etudiants
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