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Controverses scientifiques, technologiques, éthiques

Six étudiants
Dans le cadre du colloque international "Le citoyen et la décision publique. Enjeux de légitimité et d'efficacité" des 16 et 17 juin 2014, la CNDP a sollicité des étudiants d’origines disciplinaires différentes pour souligner ce qui à leur yeux constituent les grands enjeux des plénières et des tables rondes. Voici leurs contributions.

Le discours politique sur la science s’est pendant longtemps attaché à l’idée que les innovations technoscientifiques sont intimement liées à l’amélioration des conditions de vie de chacun-e. Cependant, ce positivisme politique tend à considérer les citoyen-ne-s comme mal informé-e-s ou méfiant-e-s face aux nouvelles technologies. En ce sens, de nombreuses initiatives d’intégration du citoyen dans les sciences promeuvent un modèle d’intégration linéaire qui met l’accent sur la transmission du savoir dans une perspective non dialogale.     

Le rapport de la British Royal Society Public Understanding of Science en 1985 est la source de ce qui est couramment nommé “modèle du deficit”. Le présupposé porté par le modèle est que le manque de connaissances scientifiques est le principal responsable de la peur ou du rejet par les citoyen-e-s de certaines innovations technoscientifiques. En d’autres termes, cette conception du lien entre science et société tient à une relation logique qui considère qu’un-e « citoyen-ne qui sait » est un-e « citoyen-ne qui approuvera ». Ainsi, à l’échelle européenne,  cette politique d’information orientera considérablement les rapports entre science et société jusqu’au début des années 2000. Les études eurobaromètre, destinées à évaluer les attitudes des publics face à la science mettent en lumière que les citoyens, dans leur majorité, ne considère pas que la science résoudra les problèmes de l’humanité et que le désir de contrôle social de la science progresse. De ce fait, les politiques publiques semblent s’orienter vers un modèle de sensibilisation et d’engagement et non plus un modèle de compréhension, à l’image du glissement de la PUS (Public Understanding of Science) vers la PES (Public Engagement in Science).

La science est désormais pensée comme partie intégrante de la société. Les différentes controverses scientifiques des dernières décennies (OGM, nucléaire, vache folle, sang contaminé, changement climatique, chlorofluorocarbones), de par la multiplicité des enjeux qu’elles présentaient, ont dépassé le cadre scientifique pour présenter des enjeux technologiques, éthiques, économiques, sociétaux et politiques.

Il est toutefois difficile d’arriver à caractériser les rapports entre science et société. Ainsi, s’il est monnaie courante de considérer que les différentes controverses des années 90 ont amené une sévère remise en question de la notion de progrès et une forte défiance citoyenne à l’égard de la science, les faits ne s’avèrent pas aussi facilement appréhendables. Les baromètres de  l‘Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) semblent indiquer que la défiance à l’égard de la science reste minoritaire chez les interrogé-e-s et que la confiance que les citoyens accordent à la science n’est pas en diminution : elle stagnerait depuis plus de 10 ans. Comment alors tenter de réduire le décalage entre les politiques publiques, les préoccupations des citoyens et les différents acteurs du monde scientifique ? Plusieurs questions peuvent alors être soulevées :

  • Les débats publics sur des questions scientifiques sont ils aujourd’hui encore possibles ? Parler ‘des citoyens’ n’est-il pas illusoire dans le cadre de la pluralité des intérêts?

Les échecs des débats publics sur les controverses scientifiques questionnent. Il semblerait de prime abord d’un problème dans la méthode. Cependant après plusieurs essais avec des méthodes différentes, pas de solution miracle.  Le problème résiderait-il alors plutôt dans les attentes. Les débats publics ont en effet aujourd’hui comme objectifs de répondre à des questions, de trouver des solutions. Mais la volonté d’arriver à un consensus malgré la pluralité des intérêts n’est elle pas illusoire ? Est-on d’ailleurs certains, que dans les débats publics ce soit le parole d’une majorité de citoyen qui est présente et non pas celle d’intérêts particuliers ? Ne serait-il pas alors plus pertinent d attendre des débats publics de fixer des questions auxquelles il est nécessaire de répondre? De consulter les citoyens pour savoir les aspects qu’ils aimeraient voir approfondis et étudiés, leurs attentes vis à vis d’un tel sujet. Cela permettrait par la suite d’apporter des réponses avec les bons outils. Ainsi, l’incertitude inhérente aux sciences devrait elle être mise dans la main des citoyens pour que la responsabilité soit partagée sur les questionnements et ainsi les réponses?

  • Quels types de dispositif permettant la création d’une interface entre publics, science et pouvoirs politiques pourrions-nous alors imaginer ? Dans la perspective du débat public, la parole citoyenne apparait-elle comme légitime face à l’expertise scientifique ?

Les savoirs de terrain, les savoirs usagers émanant des publics seront-ils reçus avec défiance de la part des autres acteurs, voire non considérés car n’étant pas légitimés institutionnellement ? Cette question nécessiterait de mesurer le poids des proto-experts et des associations militantes dans la mise en perspective de sujets au départ scientifiques dans un cadre plus global. Dans le cadre des conférences de citoyens, peut-on considérer que la formation à laquelle les panelistes prennent part fournit un bagage suffisant pour cerner les enjeux les plus déterminants dans une controverse technoscientifique ? Enfin, faut-il adopter une posture sceptique et considérer les arènes de discussion comme un lieu où règne l’illusion que la parole profane a un poids politique, ou au contraire considérer le débat public comme un appareillage de la démocratie participative ayant vocation à être couplé à la vie parlementaire (et donc à la démocratie représentative) ? Dans cette perspective, la parole profane permettrait d’éclairer les élus en tant qu’elle mettrait en lumière des enjeux citoyens, sociétaux, éthiques d’une innovation technoscientifique.

  • Une controverse scientifique n’est elle controverse que par son aspect sociétal éthique, économique, etc…. Quelle part réelle du scientifique ?

Les points évoqués ci-dessus nous amènent inexorablement à nous interroger sur ce qui distingue le débat public sur les controverses scientifiques des autres débats. La science, qui s’expose par essence à la critique, tout en développant un savoir qui se veut raisonné, est devenue de plus en plus spécialisée. Cette complexité inhérente à la discipline induit une transmission des savoirs laborieuse et parfois réductrice. La remise en question des connaissances scientifiques par le grand public n’est-elle pas la conséquence de cette transmission difficile? N’y a-t-il pas, derrière certaines incompréhensions, la cristallisation des peurs citoyennes liées aux progrès scientifiques parfois incontrôlés mais surtout mal expliqués? La grande technicité de la science ne met pas tant en cause la légitimité de la parole citoyenne face à l’expertise scientifique que la méthode utilisée pour rendre cette expertise accessible. Dans un tel contexte, comment peut-on organiser l’espace public afin de vulgariser la science efficacement pour qu’elle devienne l’objet d’un débat constructif?

  • Le débat public sur les questions scientifiques est-il biaisé par l’incertitude des risques liés au sujet? Quelle est la place du citoyen non formé dans le débat public? Mais aussi quelle formation pour le citoyen ?

 L’accès aux contenus scientifiques fait apparaitre les non-consensus scientifiques sur certaines questions : changement climatique, nucléaire, etc. La réponse citoyenne serait-elle éthique car les scientifiques ne sont eux-mêmes pas d’accord ? Comment peut faire le citoyen qui n’a pas le degré de connaissances nécessaires pour juger lui-même si ce qui est considéré l’autorité face au savoir elle-même ne sait pas ?  On a longtemps considéré qu’un « sachant » (scientifique, érudit, citoyen formé, passionné) soutiendra toujours les innovations scientifiques et sera moins sensible à la notion de «risque technologique». Considérer qu’un scientifique approuvera des applications d’une technoscience peu importe ces dernières  relève sans doute d’une posture de déterminisme social.

  • Quelle est la part de la science dans la décision publique?Quelles conséquences à l’accès facilité, à notre époque, aux contenus scientifiques (numérisation des contenus, accès aux revues en ligne, médiatisation des sciences) ?

Il faut noter la différence fondamentale entre un débat qui repose sur un fait scientifique (e.g quelle dose radioactive doit être considérée comme dangereuse) et un débat ou une controverse sur un choix de société. e.g dans la connaissance (imparfaite) actuelle des choses, êtes vous prêts à avoir un réacteur près de chez vous. Il faut mentionner que la science est trop souvent vue comme la détentrice d’une raison totale. Or elle ne fait que clairement marquer les choix possibles, tout en distinguant le degré de certitude associé aux options.


Aude Bernheim, Flora Vincent, Jean Cury, Clément Douam, Thierno Barry, Artémis Llamosi

Etudiants

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