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Médias, réseaux sociaux et débats publics

Un groupe de 6 étudiants
Dans le cadre du colloque international "Le citoyen et la décision publique. Enjeux de légitimité et d'efficacité" des 16 et 17 juin 2014, la CNDP a sollicité des étudiants d’origines disciplinaires différentes pour souligner ce qui à leur yeux constituent les grands enjeux des plénières et des tables rondes. Voici leurs contributions.

Le principe de publicité kantien suppose que toute question puisse être soumise à débat public, obligeant par là le pouvoir (politique en particulier) à se rendre visible et à s’exposer à ce débat. Dans cet idéal normatif, le rôle d’observateur, de « quatrième pouvoir », a été tenu par les média, et la presse en particulier, leur permettant de se placer en médiateur entre politique et citoyens. Or, l’arrivée du numérique a profondément modifié le rôle des médias et les possibilités d’irruption d’une parole citoyenne.

En effet, en diminuant considérablement le coût d’entrée dans l’espace public, Internet a permis de contourner les « gate keepers » [Cardon, 2010], à savoir ces instances médiatiques chargées de sélectionner l’information et de rendre visible ce qu’elles considéraient comme public. Internet apparait alors comme le relais privilégié d’une contre-démocratie [Rosanvallon, 2006] et le lieu d’affirmation d’une expertise citoyenne, profane face à une expertocratie disqualifiante.

Mais si cette nouvelle configuration renforce le “pouvoir” du citoyen, est-il possible pour autant d’affirmer que les réseaux sociaux favorisent la création et la consolidation  d’autres “communautés d’experts” ? Quid alors de l’articulation entre l’expertise scientifique et l’expertise “auto-proclamée” du profane?

Concrètement, sur la question du nucléaire, selon le baromètre de l’IRSN (2012), 80% des interrogés sont en faveur du développement de structures de consultations pluralistes, 15% d’entre eux pensent que la vérité n’est pas dite sur le nucléaire et 60% jugent le risque élevé, plaçant le risque nucléaire en 5ème position de leur préoccupation en 2011.

En parallèle, la crédibilité accordée par les publics aux médias traditionnels ne dépasse pas les 50%, selon un sondage TNS SOFRES de 2013. La télévision reste pourtant le moyen privilégié de l’accès à l’information, et Internet n’est considéré comme un média d’information crédible que pour 30% des sondés. Cependant, l’idée selon laquelle les médias traditionnels feraient  l’impasse sur les grandes problématiques nationales (nucléaire, changement climatique, biodiversité, etc.) ne se vérifie pas. L’observation minutieuse de leur traitement montre en effet que ces sujets sont régulièrement évoqués. Cela conduit à s’interroger sur les procédés de leur  mise en visibilité qui se déploient dans l’espace médiatique.

En effet, les médias traditionnels sont parfois soumis à certaines contraintes dans leurs logiques de production de l’information, une dimension « spectaculaire » évoquée par Guy Debord. Ces contraintes peuvent entrainer un traitement partial des enjeux autour d’une controverse. Internet, ayant le potentiel de remettre en question le monopole de la télévision, de la radio et de la presse écrite sur l’information, pourrait permettre à chacun de confronter les contenus et de mettre en lumière les divergences des avis dans une controverse.

Les médias traditionnels jouent cependant parfois tout à fait leur rôle, comme cela a été le cas dans la controverse autour du changement climatique qui a permis la réorganisation du débat public avec l’incursion dans le dispositif des voix citoyennes dissonantes (Comby). Néanmoins, le cas du nucléaire illustre bien l’ambivalence des rapports entre médias traditionnels et les différents blogs, webzines, sites de journalisme participatif, les commentaires en ligne, les réseaux sociaux et sites associatifs : d’une part un traitement conjoncturel de la thématique (comme avec Fukushima) si l’on considère une controverse technoscientifique comme non adaptée aux logiques de production audio-visuelle, et d’autre part un accès quasi illimité à des informations contradictoires qui ne disposent pas toujours d’une légitimité institutionnelle attestée, prenant parfois l’habillage de la science. En ce sens, seul le bagage culturel et intellectuel des publics permet de juger la véracité d’une source et effectuer un « tri » dans les contenus auxquels il a accès.

Le débat public ouvre alors une porte permettant de nuancer certains de ces obstacles. Ainsi, les débats publics sur la centrale à fusion ITER, sur l’EPR tête de série à Flamanville ou encore le débat CIGEO permettent de replacer des controverses locales dans des questions de politique générale qui se démarquent de la dimension conjoncturelle du traitement de ces questions dans les médias traditionnels tout en permettant aux communautés fédérées et formées sur Internet de s’exprimer dans un cadre institutionnel.

Se pose alors la question du comment mieux représenter la conflictualité sociale autour d’une question sans verser dans une logique de spectacularisation ou de militantisme médiatique. Faut- il rendre compte de tous les points de vue en laissant au citoyen la liberté de juger de lui-même ? Ou faut-il, comme le suggèrent certains, les représenter tout  en orientant le citoyen vers le point de vue qui semble être le plus proche d’une certaine forme de rationalité (scientifique, sociale et éthique) ?

En soulevant ces questions, internet rétabli un espace proprement agonistique, duquel peut émerger le bien commun.

Clément Douam, Thierno Barry, Bénédicte Souron, Yohan Barres, Paola Orozco-Souë, Lucie Demondion
Etudiants

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