Débat public et concertation dans les territoires ?
Dans le cadre du colloque international "Le citoyen et la décision publique. Enjeux de légitimité et d'efficacité" des 16 et 17 juin 2014, la CNDP a sollicité des étudiants d’origines disciplinaires différentes pour souligner ce qui à leur yeux constituent les grands enjeux des plénières et des tables rondes. Voici leurs contributions.
Conseils économiques, sociaux, environnementaux, régionaux, conseils de développement, comités locaux d’information et de surveillance…, les organismes consultatifs représentant la société civile auprès des décideurs sont nombreux et les pratiques de concertation diversifiées. Les citoyens sont-ils vraiment représentés par ces instances ?
Le développement de la gouvernance à 5, progrès à l’époque du Grenelle, ne va t il finalement pas à l’encontre d’une véritable participation citoyenne ? Quelles idées peut-on tirer des expériences étrangères ?
Contexte :
Depuis quelques années nous assistons à la multiplication des instances de concertation (Conseils économiques, sociaux, environnementaux, conseils de développement, comités locaux d’information et de surveillance) qui s’imposent comme un nouveau mode de gestion de l’action publique. Pierre Rosanvallon parle de « contre démocratie »[1] pour désigner ces espaces utilisés pour impliquer les citoyens à l’action des gouvernants. Faire appel à la participation serait ainsi une réponse institutionnelle à la défiance des citoyens envers la classe politique issue du système représentatif.
Ce mode de gestion est marqué par le développement d’un nouveau statut, celui de « partie-prenante » associée au processus de décision, à l’image de la « gouvernance à 5 » lancée pendant le Grenelle de l’environnement. Ainsi, la société civile se voit représentée, mais quelle est la place des citoyens profanes dans ce modèle participatif ? La gouvernance multi-partenaires peut-elle remplacer les processus ouverts ?
Les avantages de ce modèle ne sont pas négligeables. Ainsi, intégrer des parties prenantes est souvent présenté comme l’occasion de « démocratiser la démocratie » et d’améliorer la légitimité des décisions, tout en créant de l’adhésion au projet collectif porté par nos institutions. C’est également perçu comme un moyen de rationaliser l’action publique, de la rendre plus efficace en associant les différentes parties concernées dès sa phase amont. L’objectif est de produire des décisions mieux acceptées afin d’atténuer les conflits sociaux. La multiplication des dispositifs en France contribuerait enfin à diffuser une culture de la concertation dans l’administration française et à faire évoluer le rapport de la société au débat public et à l’échange organisé.
Pour autant, un certain nombre de limites du modèle méritent d’être rappelés, notamment autour de la question de l’inclusion des publics. En effet, le risque principal de ce type de procédure est de créer de nouveaux représentants et, encore une fois, de laisser le « grand public » en marge des échanges. Si évidemment le niveau technique des discussions est susceptible d’être plus élevé et conforme aux normes de l’action publique, cette dernière risque de perdre en légitimité ce qu’elle aura gagnée en efficacité en se coupant de la parole des citoyens ne disposant pas d’expertise préalable.
Plusieurs points nous semblent essentiels pour parvenir à maintenir une forme d’ouverture dans les dispositifs et à engager la discussion sur la composition de leurs membres. Tout d’abord il est important de favoriser la pluralité des expériences, d’encourager l’expérimentation et l’innovation pour déployer, en fonction des situations et des problématiques, des outils susceptible d’inclure les profanes dans les dispositifs dans de bonnes conditions. L’articulation de différents dispositifs, la généralisation des garants indépendants dans les espaces ouverts, la formation préalable des participants et l’usage des TIC pourront ainsi être encouragés. La communauté urbaine de Bordeaux (la CUB) a par exemple introduit un « collège citoyen » au sein de son conseil de développement afin de disposer d’un « savoir d’usage ».
De nombreux dispositifs souffrent d’un trop faible niveau de formalisation juridique. Or, l’inscription dans la loi garantie un cadre normatif, nécessaire pour éviter que la parole des citoyens ne soit reléguée dans des espaces faiblement politisés et coupés du processus décisionnel. Enfin, il est crucial de mobiliser les élus pour élargir l’appui politique en faveur de cette stratégie d’ouverture. La demande de participation existe, y compris dans la durée, comme le montre l’exemple du Comité de Suivi et d’Evaluation de la Ville de Grenoble, composé de 35 citoyens tirés au sort qui se sont investis sur le long terme dans les différentes actions engagés par le Comité.
Enfin, la comparaison internationale peut venir nourrir notre réflexion. Si l’on regarde ailleurs, quelle place pour les citoyens sur des thématiques comparables ? Evidemment les réponses sont très variables. Un exemple encourageant vient peut-être du Canada, souvent précurseur en matière de participation, notamment sur les questions environnementales. La gestion des forêts, considérées comme un bien commun et une ressource sylvicole, est une source d’expérimentation à l’échelle locale de méthodes inclusives qui demanderait de plus amples investigations.
Clément Mabi, Rita Maurel, Elian Belon, Lucie Anizon, Lucie Demondion
Etudiants
[1] Pierre Rosanvallon (2006) La contre démocratie : la politique à l’âge de la défiance, Paris, Seuil.
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